Seze mois de sensations ?

Seize mois de sensations ?

Si la pensée commence uniquement aux neuf mois du nourrisson, Il est difficile de dire à combien de mois l’embryon puis le fœtus commence à ressentir des sensations corporelles. Si le fait de ressentir constitue une forme de première présence au monde, une conscience anobjectale, où sujet et objet sont fondus en une seule entité qui témoigne bien de l’existence d’une être vivant, la question de l’apparition de cette conscience chez l’embryon peut se trouver posée. Et cette question est fortement chargée d’enjeux éthiques concernant, entres autres, l’interruption volontaire de la grossesse.

Lors de son célèbre discours du 26 novembre 1974 devant l’Assemblée Nationale, Simone Veil élude carrément la question. « Je me refuse à entrer dans les discussions scientifiques et philosophiques dont les auditions de la commission ont montré qu’elles posaient un problème insoluble. Plus personne ne conteste maintenant que, sur un plan strictement médical, l’embryon porte en lui définitivement toutes les virtualités de l’être humain qu’il deviendra. Mais il n’est encore qu’un devenir [étrange pirouette…], qui aura à surmonter bien des aléas avant de venir à terme, un fragile chaînon de la transmission de la vie. Faut-il rappeler que, selon les études de l’Organisation mondiale de la santé, sur cent conceptions, quarante-cinq s’interrompent d’elles-mêmes au cours des deux premières semaines et que, sur cent grossesses au début de la troisième semaine, un quart n’arrivent pas à terme, du seul fait de phénomènes naturels ? » Et de poursuivre : « La seule certitude sur laquelle nous puissions nous appuyer, c’est le fait qu’une femme ne prend pleine conscience qu’elle porte un être vivant qui sera un jour son enfant que lorsqu’elle ressent en elle les premières manifestations de cette vie. » Etrange conclusion qui confond la « pleine conscience » de la femme-mère et celle de l’enfant qu’elle porte et annule la place de l’enfant en devenir dans le débat pour se centrer sur celui de la femme.

Bien sûr la place de la femme elle-même dans notre société, qui plus est dans le contexte de 1974, na remet pas en cause, pour moi, la nécessité de cette loi courageuse. Replacer l’enfant dans les enjeux complexes de la pratique médico-sociale de l’IVG remet seulement au jour la question éthique plus globale de la pratique de l’euthanasie dans les situations humaines qui peuvent la nécessiter.

Nous reviendrons sur cette question en évoquant ce qui se passe dans le développement de l’embryon autour de la fin des dix premières semaines.