20/08/19 Une conscience sans objet ?

Pendant dix-huit mois, de la conception à l’émergence de la pensée, un être existe qui ne pense pas. Comment le décrire avec des mots construits par la pensée ?

Concevoir l’inconcevable de la conception c’est entrer avec émotion dans le jeu subtil des attirances et des répulsions quasi physiologiques de ces gamètes qui vont provoquer une rencontre cohérente, puissamment chargée de sens et de mystère, une éclosion volcanique qui fait s’unir deux cellules dans une enveloppe unique. On s’étonne de la transformation de la chenille en papillon à travers l’alchimie cachée de la lyse, cette pâte informe qui emplit le cocon avant l’émergence et l’envol de l’insecte nouveau. L’alchimie qui préside à la conception de l’embryon, au cours de cette réunion secrète qui transforme le deux en un suscite un mystère encore plus profond, que nul logiciel ne peut transcrire. Quel poème pourrait vibrer à ce point que nous en ressentions un tel chant d’amour ?

La naissance de l’unité de la personne en devenir, autrement dit son individualité, est déjà à l’œuvre dans cette spirale créatrice des ADN réunis. Les cartes sont redistribuées. La vie ne se suspend pas, elle se prolonge dans l’invention différentielle des organes avec une complémentarité d’horlogerie interne. Comment s’organise l’intention dans cet atelier micrométrique ? L’être qui se construit en catimini a-t-il déjà l’ébauche d’une sensation d’unité ? Une vague impression de se souder, de s’harmoniser dans un espace intercellulaire. Ressent-il déjà son destin émerger du karma qui l’a mené jusque là ?

A dix mois environ, l’ajustement de l’être s’opère. Une fonctionnalité globale sommaire en résulte. L’embryon devient fœtus. Les premières sensations vont faire vibrer peu à peu ce qui devient un corps constitué, un système autonome, bien que réglé sur le corps de la mère sans laquelle il ne se conçoit pas encore vraiment. L’osmose des deux êtres est immense. Le fœtus ressent-il autre chose que ce que ressent sa mère ? N’est-ce pas à travers elle que ses organes des sens vont d’abord apprendre à ressentir ? Comme s’il découvrait le monde à travers les muqueuses vibrantes qui le nourrissent. Ainsi émerge peut-être une première conscience unitaire du monde qui l’accueille. Une conscience quasi physiologique. N’est-ce pas ainsi que s’impriment les premières sensations du grand SOI cosmique ? Les premières sensations de l’UN qui nous fonde ? Les premières racines du soi sans sujet ni objet, que l’on ressent comme vacuité suprême ?

Le ressenti de la vacuité du samadhi pourrait avoir ici ses racines : dans cet antre du ventre, logement vacant de la matrice maternelle, vide encore de tout objet et sujet, avant que le fœtus l’emménage … Logement où il peut encore s’abandonner en osmose à sa mère nourrice. Premiers ressentis de joie, de paix, d’unité qui émergent en l’être, encore profondément dépendant du grand Autre.