03/10/19 : Du respir au faire

Le bébé vient donc d’être expulsé de sa chambre à eau. Libéré de force, le voici plongé dans une chambre à air… Le cri poussé témoigne du choc premier du respir. Il inaugure la vie libre qui sera désormais la sienne. Il inaugure également l’anxiété de vivre. Le cœur a maintenant besoin de ce nouveau carburant de la vie, l’air, et le poumon cale rapidement son rythme sur celui de son confrère. Rapidement (il n’y a pas trop le choix) ça roule pour les deux véhicules inséparables de la vie.

Et puis la gloutonnerie de la succion. Normalement, c’est automatique. Les lèvres sont faites pour le sein. Elles acceptent assez facilement la supercherie du biberon. Là aussi, il faut que ça roule… sauf évènement endogène ou exogène, l’estomac du bébé prend le rythme de la marée de lait qui le remplit puis se retire. Repus, il se sent bien et s’endort. L’estomac s’exprimera quand le reflux se fera attendre.

Dans ce déroulement programmé, rien ne s’oppose à l’abandon au bien-être qu’il a connu pendant les mois précédents. D’accord, il n’est pas vraiment autonome, mais le monde s’est organisé autour de lui et sa dépendance ne lui pèse pas trop. Dans ce ronronnement d’horloge, un évènement va le surprendre et se répéter. On va le prendre pour le changer. Le changer en quoi ? On ne le prend pas dans les bras pour le sein, on le change parce qu’il a FAIT. Voilà les faits. Les fesses à l’air, jambes tirées, on lui retire ce qu’il a fait. On a beau  l’astiquer. C’était chaud et humide. Le voici frais et sec. Et cette manœuvre se renouvelle à chaque fois qu’il sent qu’il a FAIT. Peu à peu, il apprend à maîtriser ce faire, à sentir qu’il sait faire, à initier le moment du changement des fèces et des fesses.

Notons que c’est seulement dans ce cas que le verbe faire est  intransitif. Quand on dit qu’on fait, sans complément d’objet, c’est toujours cet objet qu’on annonce… A mon sens cet évènement du bébé qui fait est donc vraiment initiatique. Il découvre que quelque chose peut sortir de lui. Quand il saura le mettre en pot, il sera même félicité. Objet de communication, on se surprend à l’imaginer comme le précurseur du langage et de la différenciation du moi-je. Même s’il faudra encore quelques mois pour que cela se mette en forme… Il sent maintenant qu’il peut FAIRE. Sa vie en sera largement bouleversée. N’aura-t-elle pas besoin de FAIRE dorénavant, pour alimenter le sentiment d’exister ?