Nous avons  évoqué la dernière fois comment la posture de l’accueil de soi pouvait conduire du sentiment d’échec à une grande qualité humaine qui ne s’apprend pas par l’effort et la volonté et que l’on nomme l’humilité. Le sentiment d’échec, qui accompagne toutes les petites culpabilités accumulées au sujet de soi, peut, si l’on arrive à l’observer simplement, être un ferment d’ouverture vers la gentillesse, cette lumière qui s’élève du soi. L’échec, un terreau vers la lumière ?

Au moment d’aborder la question de l’enracinement, le second pas de danse vers le soi, le terreau de l’humilité, l’humus de l’être humain qui s’élève, vient à point nommé nous inviter vers la nécessité de la terre sombre qui nous nourrit. L’arbre n’a pas à aller chercher la nourriture subtile de l’humus que lui fournit la chute rituelle de ses feuilles. Il offre ses feuilles à la terre et la terre, qui abrite une vie intime extraordinaire, lui prépare ce cadeau du ciel : l’humus. Derrière la chute des feuilles, il y a l’humus. Derrière la chute de l’homme qui échoue dans ce qu’il fait, peut se préparer le cadeau de l’humilité. Le cadeau subtil de son propre échec, c’est l’humilité. L’humilité vient ainsi nourrir l’être qui se donne. Quand il s’enracinera dans la matière sombre de son être, la vie sera en germe en sa profondeur. Un autre temps lui sera donné, le troisième temps de la vie, pour  qu’il s’ouvre et reçoive et se donne à nouveau.

S’enraciner est donc ce second temps du yoga de la vie. S’accueillir, c’était se replier sur le germe. S’enraciner, c’est gôûter son lien à la terre. Cela pousse vers les profondeurs de notre gravité terrestre. Vers le fond et tout autour de nous dans le sol. Alors la posture qui conviendra sera faite de tout notre poids. Peser sur le sol, gôuter, avec la respiration toujours, cette sombre présence de la masse terrestre qui nous permet de tenir. C’est ainsi que l’homme dépourvu de racines peut tenir. C’est au prix de cette respiration qu’il peut tenir dans sa gravité et rester mobile.

Dans les postures d’enracinement, l’accent sera mis sur l’expir. Alors que l’inspir se termine par l’apogée du ciel au sommet de notre tête, le souffle commence à savourer cette descente qui nous mène au sol, dans la sombre présence de l’humus. Avez-vous conservé ce souvenir de l’humus que vous avez, gamin, cueilli dans les bois entre vos mains. On sent d’abord sous les pieds que c’est spongieux, étrangement léger sur le sol profond, on en pressent alors la nature vivante, riche, invisible. On entre dans l’humus avec les mains gourmandes. Inutile de creuser. On saisit l’humus qui se donne aux mains avides. De l’humus cueilli s’élève une senteur fruitée, hmuide, sensuelle.  L’expir n’a pas peur de s’y mêler un instant. Un instant profond comme la terre. Suspendu. Cela remonte ensuite chargé de l’or noir de l’énergie terrestre. Cela remonte avec le goût de l’inspir, nourriture du corps qui s’est enraciné dans l’humus donné et va se déverser dans la chaudière du ventre.

Quand j’étais ce gamin, me promenant en forêt de Fontainebleau, je croisais parfois, parmi ces senteurs d’humus qui font le parfum des automnes, l’étrange présence d’un puits de pétrole automatique. Comme un poumon d’acier, le lourd balancier montait, montait, inspir, puis plongeait en terre en un puissant expir, son long tube-trompe glouton, avant d’en tirer des profondeurs cet autre or noir de la terre enfoui en ses profondeurs. Cette respiration profonde et régulière était quasi hypnotique et je la partageais un peu malgré l’aspect hideux de la machine qui volait le trésor des arbres. Puis l’humus humain me reprenait.

La fois prochaine, nous évoquerons ces postures d’enracinement.