Douleur et souffrance, une différence ?

Le Littré parle de la douleur « comme d’une impression anormale et pénible » et ajoute que « la souffrance est à l’âme ce que la douleur est au corps. » Dans les deux cas, il y aurait donc quelque chose qui ne tourne pas rond. Une panne dira le cerveau du mécanicien. Mais le mécanicien compétent en mécanique automobile, ne l’est plus en matière d’être humain. On parle alors dans le premier cas de système fermé (dont on peut dénombrer les composants et dont tous les effets ont une cause identifiable) ; dans le second, de système ouvert (soumis à des contextes innombrables et souvent difficiles à décrire de façon exhaustive).

De plus, l’être humain n’est pas qu’un amas de matière et la matière humaine s’approche avec des logiques différentes, dont celle du corps et de l’âme ne rend pas compte de la complexité de ces différents niveaux.

Quant à nous, nous émettons l’hypothèse que l’être « navigue » en permanence entre trois modes différents de présence au monde, un soubassement formé d’une unité de matière vivante, une strate sensitivo-émotionnelle et une perception discursive sur le monde (moi relationnel et espace-temps).

Douleur et souffrance prenne alors une autre perspective dont nous allons tenter de définir les contours.

Notre soubassement biologique répond à une logique d’unité / différenciation. La matière vivante, de la cellule à l’être le plus différencié, semble répondre à cette logique probablement sur un mode vibratoire. Etre UN et se diviser suivant une intention qui me dépasse… Toute altération de cette logique sera ressentie par l’être comme « anormale » et une « impression » de douleur profonde, de dysfonctionnement, de destruction, de blessure vitale, voire létale.

Le soi, quant à lui, fonctionne sur un mode existentiel, sensoriel, émotionnel, sans objet. Hasardons-nous à l’image du cours d’eau, immobile entre ses rives mais suivant un flux permanent. Cet être ressent le courant vibratoire de son prto-soi suivant des « teintes » qui sont propres à sa logique. L’impression qui naîtra sera heureuse ou terrifiante, harmonieuse ou désagréable, délétère. Dans le courant de sa vie, le soi abandonné à l’amour humain, est naturellement joyeux, paisible, amoureux.  Toutes les perturbations de la vibration vitale seront ressenties comme une anxiété, une peur imprécise, peut-être une terreur.

C’est alors que surviennent des perceptions et des représentations imaginaires. « Mon bras devient bleu parce que je me suis cogné, je vais me mettre de l’arnica » ou « Cette teinte bleue prend une mauvaise allure, faudrait pas que ça gangrène, je vais voir mon médecin ».

En se complexifiant par les perceptions, les représentations, les réactions, les jugements et les réflexions de l’entourage, les « choses » vont se préciser et on va mettre en place ce qu’on a à faire. Cette superposition de logiques différentes se passe très très vite, surtout si le mental est agité. De cette complexification naturelle émerge la souffrance. Autrement dit, on pourrait admettre que celle-ci se construit sur la douleur originelle qui vient du soubassement biologique.

Une telle hypothèse permet de comprendre la part qui est impartie au processus biologique puis émotionnel de la souffrance. La douleur qui provient du courant de l’existence est incontournable. Dans le cas extrême, elle peut entrer dans le processus de dégénérescence qui nous concerne tous.

Mais la souffrance qui se construit par l’activité mentale (notre troisième niveau de présence au monde) est une sensation qui est largement façonnable. C’est là qu’intervient l’ultime médication, l’intervention de la méditation, et progressivement, l’attitude quotidienne devant la douleur.